L’accessibilité des formations en ligne : de l’obligation légale à l’opportunité pédagogique

Une révolution silencieuse dans le monde de la formation

Le 28 juin 2025 marque un tournant décisif pour le secteur de la formation en ligne. L’entrée en vigueur de l’Acte européen sur l’accessibilité (EAA) transforme ce qui était hier une bonne pratique en obligation légale. Pour les organismes de formation, les éditeurs de contenus pédagogiques et les gestionnaires de plateformes LMS, cette échéance n’est pas qu’une contrainte réglementaire supplémentaire : c’est l’occasion de repenser en profondeur leur approche pédagogique et leur proposition de valeur.

Au-delà de la mise en conformité technique, l’accessibilité numérique nous invite à questionner la qualité même de nos formations. Comment garantir que nos contenus soient non seulement accessibles techniquement, mais aussi compréhensibles et engageants pour tous les apprenants ? Comment transformer cette obligation en levier d’innovation pédagogique ?

Pourquoi votre organisme de formation est directement concerné ?

Si vous pensez que l’EAA ne concerne que les grandes plateformes technologiques, détrompez-vous. La directive européenne, transposée en France par la loi du 9 mars 2023, touche directement le secteur de la formation en ligne à travers plusieurs angles.

D’abord, la dimension commerciale. Dès lors que vous vendez des formations, des abonnements ou des certifications en ligne, votre plateforme entre dans la catégorie des services de commerce électronique, explicitement visée par l’EAA. Mais l’impact va bien au-delà. Vos supports pédagogiques numériques, qu’il s’agisse de modules e-learning, de PDF, de présentations ou de vidéos, sont considérés comme des livres électroniques et logiciels spécialisés, eux aussi couverts par la directive.

Plus fondamentalement encore, la formation est reconnue comme un service essentiel à l’insertion sociale et professionnelle. Cette qualification lui confère un statut particulier qui renforce l’obligation d’accessibilité.

En pratique, si vous proposez des contenus pédagogiques en ligne, que ce soit contre rémunération ou sur inscription, vous êtes concerné par ces nouvelles obligations.

Les exigences concrètes : bien plus qu’une checklist technique

L’accessibilité numérique en formation ne se limite pas à quelques ajustements techniques sur votre plateforme. Elle englobe l’ensemble de l’expérience d’apprentissage, depuis la découverte de votre offre jusqu’à l’évaluation finale.

La plateforme LMS : le socle technique

Votre plateforme de formation doit répondre aux standards WCAG 2.1 niveau AA. Concrètement, cela signifie que chaque fonctionnalité doit être utilisable au clavier, compatible avec les lecteurs d’écran, et présenter des contrastes suffisants. Les formulaires d’inscription, les tableaux de bord, les espaces de discussion : tout doit être structuré sémantiquement avec des balises HTML appropriées et des attributs ARIA lorsque nécessaire.

Mais attention, la conformité technique n’est que la partie émergée de l’iceberg. Un bouton techniquement accessible qui mène à un contenu incompréhensible reste un échec en termes d’accessibilité globale.

Les contenus pédagogiques : le cœur de l’apprentissage

C’est ici que l’accessibilité prend tout son sens pédagogique. Chaque vidéo doit être sous-titrée et accompagnée d’une transcription textuelle. L’audiodescription devient nécessaire lorsque des informations visuelles essentielles ne sont pas verbalisées. Les images doivent comporter des textes alternatifs pertinents qui transmettent réellement l’information ou l’émotion véhiculée lorsque cela est nécessaire. Inutile de légender des images purement décoratives. (On aura l’occasion de traiter de l’accessibilité des infographies et schémas complexes dans un prochain article).

Les documents téléchargeables, ces fameux PDF que nous utilisons tant, doivent être structurés avec une hiérarchie de titres claire, un ordre de lecture logique et des métadonnées appropriées. Les quiz et exercices interactifs représentent un défi particulier : ils doivent être navigables au clavier, annoncer clairement les changements d’état et fournir des feedbacks compréhensibles par tous.

Les outils auteurs : penser l’accessibilité dès la conception

Un aspect souvent négligé concerne les outils de création de contenus. Si vos formateurs utilisent des outils auteurs pour produire des modules, ces outils doivent permettre de créer des contenus accessibles par défaut. Cela implique des modèles conformes, des fonctionnalités d’aide à l’accessibilité et, surtout, une formation adéquate des équipes pédagogiques.

Précisons ce qu’est un outil auteur :

Un outil auteur (authoring tool) est un logiciel qui permet de créer des contenus pédagogiques sans coder : modules e-learning, quiz, vidéos interactives, infographies, etc. Exemples : Articulate Storyline/Rise, Adobe Captivate, etc. mais aussi des éditeurs intégrés (Moodle, Gutenberg de WordPress, Google Docs…) quand ils servent à produire des supports.

Le calendrier : où en êtes-vous ?

Le compte à rebours a commencé. Depuis le 28 juin 2025, tous les nouveaux services de formation en ligne doivent être accessibles. Si votre plateforme existait avant cette date, vous bénéficiez d’une période transitoire qui peut s’étendre jusqu’en 2030 selon les cas. Les microentreprises (moins de 10 salariés et un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros) bénéficient d’exemptions partielles, mais attention : ces exemptions varient selon les modalités de transposition nationale et ne couvrent pas tous les aspects.

Ne vous laissez pas bercer par l’illusion du temps disponible. La mise en accessibilité est un processus long qui nécessite audit, formation, refonte et tests. Commencer maintenant, c’est se donner les moyens de transformer cette contrainte en avantage concurrentiel.

Au-delà de la conformité : l’intelligibilité comme pilier de la qualité pédagogique

Se conformer techniquement aux normes WCAG et RGAA est essentiel, mais insuffisant. L’accessibilité véritable passe par l’intelligibilité des contenus ce principe souvent négligé des normes d’accessibilité qui stipule que l’information doit être compréhensible.

L’intelligibilité : rendre le complexe accessible

Un module de formation peut cocher toutes les cases techniques de l’accessibilité tout en restant hermétique pour de nombreux apprenants. L’intelligibilité exige de repenser la présentation de l’information. Cela commence par la lutte contre la surcharge cognitive : épurer les écrans, segmenter l’information, créer des respirations visuelles et cognitives.

Le vocabulaire joue un rôle crucial. Chaque terme technique non expliqué, chaque acronyme non développé, chaque concept supposé acquis est une barrière potentielle. L’utilisation de glossaires interactifs, de définitions contextuelles et d’exemples concrets devient indispensable. Les méthodes comme le Facile à Lire et à Comprendre (FALC) ou le Plain Language (Langage Clair) ne sont pas réservées aux publics avec des troubles cognitifs : elles bénéficient à tous les apprenants, particulièrement en contexte de formation à distance où l’attention est plus fragile.

Lorsque j’étais référent de formation au CEFIM à Tours, j’ai mené un travail d’harmonisation des contenus pédagogiques sur une ancienne version de Moodle. L’objectif était de structurer les cours de manière uniforme afin d’offrir des repères clairs aux étudiants, puis de définir des règles de style communes pour que les différents types de contenus soient présentés de façon cohérente et reconnaissable.

L’ingénierie pédagogique inclusive : concevoir pour la diversité

L’ingénierie pédagogique inclusive va au-delà de l’adaptation a posteriori. Elle intègre dès la conception la diversité des profils d’apprenants. Cela se traduit par la multiplication des modalités d’apprentissage : un même concept peut être présenté sous forme de texte structuré, de vidéo commentée, de schéma interactif et d’exercice pratique. Cette redondance pédagogique, loin d’être superflue, permet à chaque apprenant de trouver le canal qui lui correspond. N’ayez pas peur de diversifier les ressources pédagogiques, avec mesure. Sélectionnez-les avec soin, en gardant à l’esprit qu’un contenu inadapté pour une personne peut convenir à une autre.

Le guidage devient essentiel. Des repères visuels constants, des transitions explicites entre les séquences, une progression clairement annoncée : autant d’éléments qui sécurisent le parcours d’apprentissage. En combinant une version courte, une version approfondie et des itinéraires selon le niveau initial, chacun avance à son rythme.

La cohérence des parcours : du premier clic à la certification

La cohérence garantit une expérience d’apprentissage fluide et logique. Elle commence dès l’information préalable : les objectifs de formation doivent être formulés clairement, les prérequis explicités sans ambiguïté, les modalités d’évaluation transparentes. Cette clarté initiale conditionne l’engagement de l’apprenant.

La progressivité pédagogique doit être pensée comme un escalier dont chaque marche est calibrée. Trop haute, elle décourage ; trop basse, elle ennuie. Le positionnement initial permet d’ajuster cette progression, mais la flexibilité doit rester de mise pour s’adapter aux difficultés rencontrées en cours de route.

La différenciation pédagogique : mêmes objectifs, chemins variés

La différenciation pédagogique maintient un socle commun de compétences attendues tout en proposant des parcours adaptés au niveau, au rythme et aux préférences de chaque apprenant. Concrètement, elle diversifie les supports d’entrée (texte, audio, vidéo sous-titrée), les méthodes d’accompagnement (guidage pas-à-pas, indices ou autonomie) et les modalités d’expression (écrit, oral, création multimédia). L’accessibilité est intégrée dès la conception (sous-titres, transcriptions, contrastes adaptés) et le suivi s’effectue via des indicateurs précis : atteinte du socle, progression individuelle, taux de complétion et satisfaction. Cette approche permet une progression cohérente et exigeante pour tous, personnalisée dans sa mise en œuvre, levant les obstacles sans compromettre la qualité des acquis

L’accessibilité au service de Qualiopi : une synergie naturelle

Pour les organismes certifiés Qualiopi, l’accessibilité numérique n’est pas une contrainte supplémentaire mais un levier pour répondre aux exigences de la certification. Les deux démarches convergent naturellement vers un même objectif : la qualité et l’inclusion.

Le Critère 1 de Qualiopi exige une information transparente au public. Une information accessible, c’est une information qui atteint effectivement tous les publics, y compris les personnes en situation de handicap. Mentionner l’accessibilité PSH (personne en situation de handicap) sur ses documents de communication ne suffit plus : il faut la démontrer concrètement.

Le Critère 2 sur l’adaptation des prestations trouve dans l’accessibilité sa traduction la plus concrète. Des contenus accessibles sont par nature adaptables aux différents besoins et contextes d’apprentissage. L’accessibilité devient ainsi la preuve tangible de votre capacité d’adaptation.

Le Critère 3 concernant l’accueil, le suivi et l’évaluation bénéficie directement d’une approche accessible. Un parcours intelligible réduit les risques de décrochage, facilite le suivi individualisé et permet une évaluation plus juste des acquis.

Le Critère 4 sur l’adéquation des moyens prend une dimension nouvelle : des ressources pédagogiques non accessibles peuvent-elles vraiment être considérées comme « adéquates » ? La conformité RGAA/WCAG devient un indicateur objectif de la qualité des moyens mis en œuvre.

Enfin, le Critère 6 sur l’investissement dans l’environnement, notamment l’indicateur 26 sur l’accueil des publics en situation de handicap, trouve dans la mise en conformité EAA sa démonstration la plus évidente.

Les risques du statu quo, les opportunités du changement

Les risques : au-delà des sanctions

Ne pas se conformer expose d’abord à des sanctions réglementaires : injonctions, amendes, astreintes. En France, la DGCCRF et l’ARCOM ont déjà commencé leurs contrôles. Mais le risque réputationnel est peut-être plus grave encore. Dans un marché où la confiance est essentielle, être épinglé pour non-accessibilité peut durablement ternir votre image.

Le risque économique est réel également. Les financements publics, notamment via le CPF, intègrent de plus en plus des critères d’accessibilité. Ne pas être conforme, c’est potentiellement se fermer des portes de financement.

Les opportunités : transformer la contrainte en avantage

L’accessibilité ouvre votre offre à un public élargi. En France, 12 millions de personnes sont concernées par un handicap. Mais au-delà, même si les experts en accessibilité n’apprécient pas ce discours, l’accessibilité bénéficie à tous : aux seniors, aux personnes en situation de handicap temporaire, à ceux qui apprennent dans des conditions difficiles (transports, environnement bruyant, connexion limitée).

Des contenus accessibles sont aussi plus durables. Structurés, documentés, modulaires, ils sont plus faciles à maintenir, mettre à jour et réutiliser. L’investissement initial dans l’accessibilité se rentabilise sur la durée par la réduction des coûts de maintenance.

Sur un marché de la formation de plus en plus concurrentiel, l’accessibilité devient un facteur de différenciation. Les entreprises cherchent des partenaires de formation capables d’accompagner tous leurs collaborateurs. Être accessible, c’est répondre à cette attente sociétale croissante.

Une feuille de route pragmatique pour agir maintenant

Étape 1 : L’audit, pour savoir d’où vous partez

Commencez par un état des lieux précis. Un audit selon les référentiels RGAA et WCAG 2.1 AA vous donnera une vision claire des écarts. Ne vous limitez pas à la plateforme : auditez aussi vos contenus phares, vos documents types, vos processus de création.

Étape 2 : La priorisation, pour avancer efficacement

Tous les problèmes d’accessibilité n’ont pas la même gravité. Commencez par les points critiques qui bloquent complètement l’accès : contrastes insuffisants, absence de navigation au clavier, vidéos sans sous-titres. Puis progressez vers les améliorations qui facilitent l’usage.

Étape 3 : La formation, pour pérenniser la démarche

L’accessibilité ne peut pas reposer sur une seule personne ou un prestataire externe. Formez vos équipes pédagogiques, vos développeurs, vos contributeurs. Une formation de base à l’accessibilité pour tous, une formation approfondie pour les référents.

Étape 4 : L’outillage, pour faciliter le quotidien

Mettez en place des outils et des processus qui rendent l’accessibilité naturelle. Templates accessibles par défaut, checklist de validation, outils de test automatisés : autant d’éléments qui intègrent l’accessibilité dans le flux de travail quotidien.

Étape 5 : Le maintien, pour ne pas régresser

L’accessibilité n’est pas un état mais un processus. Des tests réguliers, une veille sur les évolutions normatives, une déclaration d’accessibilité publique et mise à jour : ces éléments garantissent la pérennité de votre démarche.

L’accessibilité, catalyseur d’une formation de qualité

L’Acte européen sur l’accessibilité n’est pas qu’une énième contrainte réglementaire. C’est l’occasion de repenser fondamentalement notre approche de la formation en ligne. En plaçant l’accessibilité et l’intelligibilité au cœur de notre ingénierie pédagogique, nous ne nous contentons pas de nous conformer à la loi : nous améliorons la qualité de nos formations pour tous les apprenants.

L’accessibilité nous pousse à clarifier nos objectifs, structurer nos contenus, diversifier nos approches pédagogiques. Elle nous oblige à sortir de nos habitudes, à questionner nos évidences, à penser vraiment à l’expérience de l’apprenant. En ce sens, elle rejoint les préoccupations de qualité portées par Qualiopi et les attentes croissantes des apprenants et des entreprises.

Le défi est important, les investissements nécessaires, mais les bénéfices sont à la hauteur. Une formation accessible est une formation plus claire, plus engageante, plus efficace. C’est une formation qui assume pleinement sa mission : permettre à chacun de développer ses compétences, quelles que soient ses particularités.

L’heure n’est plus à la réflexion mais à l’action. Chaque jour qui passe est un jour de perdu pour prendre le virage de l’accessibilité. Mais chaque pas dans cette direction, même modeste, est un pas vers une formation plus inclusive, plus qualitative et plus durable.

Sources et ressources utiles

Les liens des ressources s’ouvrent dans une nouvelle fenêtre.

Directive (UE) 2019/882 – EAA

DGCCRF – Nouvelle directive européenne sur l’accessibilité

Mon parcours handicap – entrée en vigueur de l’EAA

Dendreo – EAA, RGAA et accessibilité pour les OF

Chez Sans Format, nous accompagnons les organismes de formation dans leur transition vers l’accessibilité : audit de conformité, refonte de contenus, mise en conformité des plateformes LMS et formation de vos équipes.

Parce que l’accessibilité n’est pas une contrainte à subir mais une opportunité à saisir pour transformer durablement votre offre de formation.